Polytech Nantes, École d'ingénieurs
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" L'œuvre était fresque parfaite… "

 Polytech Nantes Infos n°5 - Juin 2010


Aujourd'hui, notre promenade dans les locaux de Polytech Nantes du site de la Chantrerie nous amène dans le grand hall d'entrée du bâtiment Isitem.


Le promeneur coutumier de ces lieux aura peut-être quelques difficultés à y déceler une œuvre d'art tant celle-ci fait partie des murs.

Néanmoins, le visiteur attentif observera une curieuse annotation au bas du mur : « Laksine Irène 1990 ».

Même après la consultation des archives sur l'ISITEM, ce mystère reste entier : aucune illustre diplômée de la promotion 1990 ne porte ce nom énigmatique...

Puisque ce nom ne commémore pas le souvenir d'un usager de ces lieux, il faut réfléchir autrement, prendre du recul...

Acculé, le dos au mur de l'amphithéâtre, le doute n'est plus permis ; cette inscription est manifestement la signature de l'auteur de cette peinture murale. Cette certitude, bien que rassurante, n'apporte pas plus d'information à l'usager des lieux avide de connaissances.

La curiosité exacerbée par cet étrange secret, l'hôte de passage n'aura donc de cesse de percer le voile de cette intrigue.

A cet effet, l'utilisation de puissants moyens d'investigations que certains appellent « Internet » permet enfin d'entrevoir des éléments de réponse. Irène Laksine n'est pas une simple peintre en bâtiment comme certains esprits moqueurs pourraient le suggérer, mais une artiste peintre reconnue.

Irène Laksine est née d'un père russe et d'une mère espagnole, dans le sud de la France1. Dès l'âge de 16 ans, elle fréquente l'École des Arts Décoratifs de Nice pour rejoindre ensuite l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. C'est durant cette période parisienne, alors qu'elle n'a que 22 ans, qu'Irène Laksine décide d'abandonner l'art figuratif pour se consacrer exclusivement à l'art abstrait. Cette passion ne l'a pas quittée et elle peint encore actuellement dans son logement parisien.

Ce peintre s'est fait connaître localement à l'occasion de nombreuses expositions personnelles et collectives nationales (La Roche/Yon, Douarnenez, ...) voire internationales (Canton, Pampelune, ...). Elle n'est d'ailleurs pas inconnue de l'amateur d'art érudit nantais, puisque le Musée des Beaux Arts de Nantes a acquis en avril 2004 une huile sur carton2 peinte en 1989.

Certains incrédules pourraient penser que la personne qui a peint l'huile de 44,5 cm x 75 cm, visible au musée nantais, n'est pas celle qui a réalisé la peinture murale de 250 m² du hall d'entrée. La réponse est sans appel : la fresque de Polytech n'est pas le premier essai d'Irène Laksine.

En effet, Claire Étienne et Julie Girard3 rapportent dans leur histoire urbaine du Val-de-Reuil (4ème ville de l'Eure) que certains quartiers ont fait l'objet d'une « réhabilitation en 1986 par le cabinet AB Design, avec un traitement décoratif : enrobage de brique, application de céramique et mur-peint par Irene Laksine, en association avec les habitants ». Une étude plus approfondie des travaux réalisés dans cette ville permet de constater que ce n'est pas une peinture murale mais deux qui ont ainsi été réalisées (l'une de 20 m² en 1985 et la seconde de 120 m² en 1986).

À cette période, on « estime primordiale l'intervention de l'art dans la ville, envisagée comme un élément de valorisation et de médiation entre le domaine construit et ses utilisateurs, en servant de points de repère ».

Forte de cette expérience, Irène Laksine l'a décliné de multiples façons qui vont de la peinture des tunnels de la traversée sous-fluviale de l'autoroute A86 (1700 m²) en 1988, à la peinture au sol et au décor de l'émission « Confidentiel Femmes » (FR3) en 1992.


Bien que ce type de peinture permette de faire sortir les œuvres des galeries d'art ou des musées, je devine que notre visiteur est toujours dubitatif quand à l'intention artistique qu'a voulu exprimer le peintre sur le mur du hall d'entrée.

Cela n'est pas totalement surprenant car lorsque l'œuvre a été choisie sur maquette par Yves Ménard (architecte du bâtiment Isitem - cabinet 3M), cette fresque devait être réalisée sur un seul panneau. Mais lorsqu'Irène Laksine est arrivée dans le bâtiment, elle s'est aperçue que le mur était coupé par les 2 étages !!!

Quoi qu'il en soit, même si cette précision permet de comprendre, en partie, la difficulté d'appréhender l'œuvre dans son ensemble, cela n'assouvit pas notre visiteur en quête de savoir.

Sans atteindre l'état de fébrilité et d'excitation dans lequel devait être Léon Laval (puis plus tard l'abbé Henri Breuil) lorsqu'en 1940, quatre adolescents l'informèrent de leur découverte dans une grotte à Lascaux, notre visiteur reste perplexe devant l'art rupestre de notre bâtiment qui semble conserver tous ses secrets.

Une des clés du mystère est contenu dans l'intitulé du thème de la commande : « Chaleur et feu ». Aux yeux de l'architecte, cette thématique illustrait l'activité des futurs utilisateurs du bâtiment (en référence aux thermiciens qui devaient s'approprier les locaux). L'architecte a « naturellement » choisi la proposition d'Irène Laksine car sa peinture était colorée par opposition à l'aspect métallique et minéral du bardage gris de l'amphithéâtre sur lequel notre visiteur est toujours acculé et de plus en plus désorienté.

Si le thème de la chaleur pourrait expliquer la surchauffe des locaux par jours de beau temps, il n'apporte aucune explication au froid glacial qui envahit ces mêmes lieux une large partie de l'année ?

L'esprit imaginatif pourrait y voir de grandes flammes entremêlées à des volutes de fumée décrivant des mouvements de convection de la chaleur qui monte pour tenter de s'échapper à cette cage de verre ?

Mais, c'est lorsque plus aucune représentation rationnelle ne parvient à l'esprit du visiteur que la notion d'art abstrait prend tout son sens : une forme d'art qui n'essaie pas de représenter le monde sensible. Une peinture qui peut se passer de modèle et s'affranchir de la fidélité à la réalité visuelle, une pratique artistique ne représentant pas des sujets ou des objets du monde naturel, réel ou imaginaire, mais seulement des formes et des couleurs pour elles-mêmes.

Si vous êtes toujours sceptique sur la qualité de cette peinture, vous constaterez que, contrairement au reste du bâtiment où la peinture murale est défraîchie et s'écaille à certains endroits, celle de cette fresque n'a pas souffert des affres du temps.


Visiteurs et usagers de notre espace quotidien, au hasard d'un détour dans le grand hall du bâtiment isitem, je vous invite à prendre quelques minutes pour contempler cette vision du « feu et de la chaleur ». Même si vous n'en repartez pas tout feu tout flamme, nul doute que cette fresque ne vous laisse de glace !

Hervé MOURTON - Laboratoire LGMPA

1 Informations recueillies à l'occasion d'un entretien téléphonique avec l'artiste

2 Musée des Beaux-arts de Nantes - Huile sur carton - H. 44.5, L. 75 - numéro d'inventaire 04.8.31.P ; 9313

3 Étienne C. et Girard J., Ville nouvelle de Val-de-Reuil. Un patrimoine en devenir, Histoire urbaine 2007/3, n° 20, p.77-100.

Mis à jour le 10 janvier 2011.
https://polytech.univ-nantes.fr/fr/une-ecole-sur-3-campus/actualites/loeuvre-etait-fresque-parfaite…